mardi 16 octobre 2007

La science-fiction, genre et moyen

Trouvé sur une liste argentine le texte suivant que j'ai traduit et auquel je souscris à, disons, 99%.
LA SCIENCE-FICTION, GENRE ET MOYEN

par Jordi Font-Agustí

Une discussion classique en théorie littéraire est celle qui porte sur les genres. Que sont-ils exactement, comment les séparer, qu’appelle-t-on des sous-genres, où sont leurs frontières, que se passe-t-il quand un auteur écrit une œuvre à cheval sur deux genres ou deux sous-genres... À ces question on trouve des réponses de toutes les couleurs, et choisir l’une ou l’autre position sur le spectre tient autant du courant théorique sur lequel on base son analyse que de ses expériences intimes de lecteur.

Il y a ceux qui aiment classifier tout et établir une hiérarchie de genres, sous-genres et formes mixtes. D’autres disent que la création littéraire est un espace de liberté et que l’on ne peut as mettre d’étiquettes valables. Entre un extrême et l’autre, il y a néanmoins la place pour fixer quelques concepts et tirer certaines conclusions.

La rhétorique classique classifie (vive la redondance) les genres littéraires en lyrique, épique et dramatique, de telle sorte que leurs manifestations sont la poésie, la narration et le théâtre. Chacun d’eux se divise en sous-genres, ceux de la narration, par exemple, seraient le roman et le récit et ceux du théâtre seraient la tragédie, la comédie et le drame. Pour l’instant, cette classification est utile, même si elle écarte certains aspects du problème. Par exemple: dans cette vision classique, l’art oratoire et le didactique sont traités comme des genres, et le genre épistolaire est considéré comme un sous-genre de la didactique. Ces derniers classements, aux yeux d’un lecteur du 21° siècle, ayant lu ce que nous avons lu, prennent eau de toutes parts.

En théorie littéraire moderne, quand on parle de genres, on se réfère à des ensembles d’œuvres littéraires regroupées selon certaines caractéristiques formelles et thématiques, lesquelles répondent à des normes qui régissent la production et la réception de ces œuvres. De cette définition, communément acceptée, on peut tirer certaines conclusions importantes:

Primo: Ce sont les oeuvres écrites par les écrivains qui finissent par définir les sous-ensembles que nous appelons genres; de ce fait, les genres sont des récipients qui évoluent et s’adaptent au fur et à mesure que changent les formes des oeuvres.

Deuxièmement: L’idée de genre comporte l’acceptation et l’usage de certaines règles du jeu, aussi bien de la part de l’auteur que de celle du lecteur; de ce fait, s’il n’y a pas cette harmonie entre l’un et l’autre, s’ils ne sont pas tous deux accordés sur la même longueur d’onde, aucune compréhension n’est possible. Combien de fois nous est-il arrivé de ne pas comprendre tel ou tel texte, qu’il nous a irrité parce que, par exemple, il n’était ni réaliste ni satirique ?

Parler des sous-genres est an fait encore plus compliqué, parce que la marge de définition et la variabilité sont bien plus grandes. J’ai ici quelques exemples de sous-genres du genre narratif qu’on peut rencontrer sur les livres et dans les critiques récentes : roman académique, scientifique, noir, fantasy, roman de formation (bildungsroman), réalisme romantique, terreur... disons-le : il n’y a pas d’étalon de mesure universel, probablement parce que la taille de l’objet à mesurer ne le permet pas.

Ceci dit, nous pouvons nous demander : la science-fiction a-t-elle été, est-elle, sera-t-elle un genre (ou un sous-genre) ?

Qu’elle l’a été est évident. Elle l’a été parce que, entre autres raisons, elle est née avec la volonté de l’être. Elle l’a été pour fixer les règles du jeu, comme nous le disions auparavant : par exemple, en 1966, John W. Campbell a cherché à établir les frontières qui séparent la fantasy de la science-fiction. Un autre problème est la discussion inutile pour savoir s’il s’agit d’un genre ou d’un sous-genre majeur ou mineur : nous serons d’accord à ce sujet pour dire qu’il y a de la bonne littérature et de la mauvaise.

Répondre à la question de ce qu’elle est exactement est compliqué parce que nous manquons de recul, mais je m’appuierai sur la définition que donne Miquel Barceló: “La science-fiction s’est présentée comme une forme narrative d’idées, une façon de construire des histoires ans lesquelles l’élément déterminant est la spéculation imaginaire. (...) En partant de ce point d’invraisemblance, les narrations de ce genre essayent répondre à la réponse “qu’arriverait-il si... ?” et, tout de suite après, s’attaquent à l’analyse des conséquences d’une hypothèse considérée comme inhabituelle ou même prématurée pour exister dans le monde réel.” Barceló la considère comme un genre, mais le fait en recourrant à une définition assez large pour que des auteurs très variés puissent se servir d’elle avec aisance. Les bons auteurs, quand ils abordent un genre (ou un sous-genre), ont l’habitude de lui donner une dimension que celui-ci ne possédait pas antérieurement, normalement en étendant l’action à d’autres sous-genres ou à des domaines inhabituels. Ainsi sont nées la science-fiction policière, la science-fiction spiritualiste, la science-fiction rétro, la science-fiction écologiste, etc.

Et dans l’avenir ? À mon opinion personnelle, la science-fiction a cessé d’être un genre ou un sous-genre pour se transformer en une forme, un moyen littéraire, de la même façon que cela est arrivé au roman historique ou au roman épistolaire ou policier. Ceci est en train d’arriver surtout en Europe, où la plupart des auteurs emploient les règles du jeu et les procédés littéraires d’un genre déterminé en fonction de l’histoire qu’ils désirent raconter. Tout le temps, de plus en plus d’auteurs de main-stream utilisent des éléments narratifs de la science-fiction sans que personne ne les range dans ce domaine (Pedrolo, Ishiguro, Mulisch, Ballard, etc.), de la même manière qu’ils n’ont pas été classés dans d’autres sous-genres qu’ils ont utilisés.

Il me semble que, abandonnant les étiquettes, cette aisance que nous donne la science-fiction pour nous permettre de réfléchir sur la techno-science et la création de l’avenir que nous désirons la rendra de plus en plus attrayante pour les auteurs du 21° siècle.

© 2007 Jordi Font-Agustí.

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