lundi 13 août 2007

Le "ghetto" de la SF française, forteresse ou prison? école ou parc à bébés?

Poser la question, c’est déjà prendre position : l’idée que le « ghetto » puisse servir de forteresse où les « happy few », l’élite de ceux qui sont capables d’apprécier la littérature de demain en laissant la tourbe du public ordinaire se vautrer dans sa sous-littérature conventionnelle, est en fait intenable. A partir du moment où elle se laisse enfermer dans ce qui n’est rien de plus qu’un zoo, la SF française renonce à son rôle qui est de féconder tout l’espace artistique. Pour paraphraser une citation connue, le « ghetto » de la SF est son berceau, mais la littérature n’est pas faite pour rester dans un berceau.

Je restreins ma déclaration à la littérature dans la mesure où, dans les autres arts, l’enfermement est beaucoup moins strict. En peinture, le surréalisme a depuis longtemps interdit tout découpage en « genres » et les œuvres d’inspirations SF ne restent pas isolées dans leur coin. En cinéma, les différents genres se répondent de façon permanente et, qu’elle soit SF ou pas, une œuvre s’adresse à un public plus ou moins averti, ce classement transcende les genres. En théâtre, en musique, en chanson, en poésie, les rares œuvres directement inspirées par une idée SF n’en restent pas moins exposées à la compétition générale, et leur caractère SF n’en fait pas des œuvres à part.

L’isolement, l’enfermement dans ce ghetto où les fans qui s’y complaisent veulent voir une forteresse, voire un nid d’aigle qui les mettrait au dessus du commun des lecteurs et des auteurs, c’est un phénomène presque limité au fandom littéraire. Encore aggravé quand, pour nombre des fans qui défendent cette séparation entre SF et « littgen », s’ajoute de plus le complexe d’infériorité et de supériorité de la SF française par rapport à la SF internationale (lire anglo-saxonne : rares sont ceux qui reconnaissent l’existence des autres SFs nationales).

Cet enfermement est sans cesse battu en brèche, heureusement. Pas ces auteurs qui se déclarent « transgenres » et qui publient hors SF des œuvres marginales ; par ceux qui, tout en écrivant de la SF, publient hors collections de SF et s’adressent directement au public général, et que le fandom se sent d’autant plus autorisé à rejeter comme traîtres qu’ils ont du succès, les Brussolo, Werber, Houellebecq… Et enfin par ces auteurs de littgen qui viennent, en cachette, souvent en reniant leur source, chercher en SF des thèmes nouveaux, et publient en jurant que « ce n’est qu’une petite extrapolation », « cela n’a rien à voir avec la SF », « il n’y a pas de fusées » (et autres innombrables perles commises par les D’Ormesson, Sabatier qui aurait pu éviter celle là puisqu’il est amateur reconnu de SF, Rufin et consorts). Comme l’a écrit Houellebecq dans son essai « Sortir du XX° siècle », la SF n’est autre chose que l’élargissement de la littérature à un champ plus large, et toute littérature qui se veut nouvelle se doit d’aller y puiser une source de renouveau. En attendant que la limite du ghetto soit abolie et que les juifs de la littérature que sont les auteurs de SF soient reconnus comme citoyens à part entière de la République des Arts.

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